Grâce à son moulin le long de la Vièze et les cultures de céréales de la Vallée, Troistorrents a su exploiter les ressources de son environnement pour développer un vrai savoir-faire. Dans son livre “Au fil du paysage et de l’eau”, Pierre-Alain Bezat retrace cette tradition.
Culture des céréales à Troistorrents
En 1930 moins de 30% des habitants de la commune de Troistorrents vivaient de l’agriculture. En 2005 ce secteur n’occupe que 2% de la population active. 1
La sédentarisation de la communauté n’est devenue effective qu’au moment où l’habitat a pris racine, c’est- à -dire au moment où l’homme a pu produite son pain sur place.
L’emplacement favorable des parcelles destinées à la culture des céréales, leur disposition sur les terrains les meilleurs et préservés de tout risque naturel, a décidé souvent de l’implantation des familles et du village. A Troistorrents, les surfaces ensemencées ne dépasseront au grand jamais le 20% des terres exploitables. Surfaces comptées, dont les versants ensoleillés gardent encore le souvenir du travail consenti par l’homme pour prendre possession et garder cette terre.
En retour, cet effort, cette peine marquent l’espace d’une empreinte profonde. Avant l’introduction du système métrique, le champ labouré se mesure en « journal » soit la superficie travaillée en un jour. Sa valeur diffère d’une région, d’une localité à l’autre selon les facilités du sol et l’outil employé. Ainsi, à Monthey et à Val-d’Illiez, le journal vaut 31.01 ares. A Troistorrents, Dieu c’est quoi ? le double. 2
Pendant longtemps et même après l’arrivée de la pomme de terre au 18èm siècle, la culture essentielle reste le blé ou plutôt les blés ou plutôt les blés, devrait-on dire, comme le souligne fort justement F. Braudel. Le terme englobe, en effet toutes les céréales panifiables ou non, consommée sous forme de pain, de bouillie ou de gruau. Et Olivier de Serres va même plus loin : « ce mot de bled est pris généralement pour tous les grains jusqu’aux légumes bons à manger »
En tête, le froment bien sûr, champion toute catégorie, le préféré des habitants. Il est suivi de près par l’orge résistant au froid et qui pousse bien en altitude et enfin l’avoine.
Quant au seigle, prisé dans les régions montagneuses du Valais Central, il est très rarement cultivé dans le district de Monthey tant en plaine qu’en montagne. On ne le consomme que mélangé à la farine de froment et encore, en cas de pénurie seulement ou si l’on ne peut agir autrement. 3
L’orge et l’avoine appartiennent à ce que nos ancêtres appelés communément les « blés de Pâques ou de Carême » parce qu’ils étaient « ensemaillés » au printemps, aux abords de la Grande fête de la Résurrection. Ces deux espèces (utilisés pour) la fabrication du pain, en mélange avec de la farine de froment voire du seigle, mais surtout confection de gruaux et de potages les plus divers. Ici aussi, les variétés locales dites vulgairement avoines « blanches » et orge de la Vallée, se maintiendront intactes sur une fort longue période. Nous avons trouvé également de l’orge et de l’avoine et, plus surprenant, trois espèces céréalières disparues de nos jours, l’engrain appelé aussi « petit épeautre », l’amidonnier et millet. 4
Dès le 17ème siècle, la Diète valaisanne légifère et empêche toute « fuite des blés » du pays. Vers 1850, l’introduction du chemin de fer, l’amélioration des voies carrossables, ouvraient la vallée aux importations céréalières d’outre-mer, au prix défiant toute concurrence. S’en était fait de la production autochtone. Petit à petit, les parcelles emblavées disparurent laissant place aux herbages, à la production laitière et à l’élevage du bétail. A la fin du 19ème siècle, la production intérieure suisse couvrait juste 20% des besoins en céréales panifiable, contre 50% en 1850. 5
Le Pain
En plein 18ème siècle, …., le pain est donc un aliment à part entière et non ce qu’il est advenu aujourd’hui, un « support » au repas. …Au 17-18ème siècle, un adulte en consomme communément de 1,2 à 2 kilos par jour ; parfois plus, s’il exécute un travail de force. Ainsi, l’année 1740, voit les ouvriers occupés sur le chantier du pont de la Tine percevoir quotidiennement 3,5 kilos de pain chacun. 6
Toutes bonne gestion de la maisonnée, exige que l’on confectionne le pain à domicile. On l’appelle d’ailleurs pain de ménage pour le distinguer de celui du boulanger. Chaque famille possède ses recettes, ses secrets qui découlent tant de la conservation du levain que du mélange subtil des farines et autres ingrédients. 7
Chauffer et cuire, four
La communauté des « quartier d’Enhaut » dispose de plusieurs fours qui sont détenus soit par des particuliers soit exploités en consortage. Le 27 septembre 1457, Robert Dubosson alias Malliet reconnaît tenir du Duc de Savoie, une maison avec grenier et four. L’ensemble est situé sur le territoire de Troistorrents au lieu-dit Fribor de Macherel. En 1620, le 24 novembre, Pierre Marclay avoue détenir le huitième en indivis d’un four nouvellement édifié, à Collaire, sur le pré de Claude Guerrat. Autour de 1742, Joseph Donnet de Chenarlier, quant à lui, cumul les fonctions de fournier et de meunier du Pas.
Autour de 1457, on compte huit fours sur la commune de Troistorrents : 2 à Macherel, 1 à Collaire, 1 au village même, 3 à Propéraz, 1 au Pas.
L’utilisation du four s’échelonne sur trois voire quatre jours. Quand le four appartient à la communauté, la mise en chauffe, qui exige plus de bois, est assurée à tour de rôle par chaque famille. Les ménages suivant profitent de la chaleur produite par les fournées précédentes. La cuisson du pain n’a lieu que trois ou quatre fois par année seulement. Une fois cuites, les miches sont entreposées au grenier sur des tablards suspendus au plafond, pour les préserver des rongeurs. Les quinze premiers jours, le pain se mange encore facilement, ensuite «il devenait tellement dur, qu’on l’enrobait dans un linge et qu’on le cassait avec un marteau en bois. Alors on le ramollissait en le trempant dans la soupe ou du lait. …..
Le maître de maison ne l’entame jamais sans qu’il ait tracé avec le couteau un signe de croix sur son envers et que les autres membres de la maison se soient signés. De plus rien ne se perd, les miettes sont ramassées consciencieusement jusqu’à la dernière et lorsqu’un morceau est avarié, on le baise avant de le jeter. 8
Extrait “Au fil du paysage et de l’eau : la longue histoire des moulins de la Tine à Troistorrents” de Pierre-Alain Bezat, 2005
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