Pierre-Maurice Rey-Bellet, dit « le Gros-Bellet » (il mesurait 5 pieds 10 pouces, plus de 1 m 90), joua un rôle de premier plan dans les événements de 1790 qui préparèrent l’indépendance du Bas-Valais.

Depuis 1536, cette région était pays sujet du Valais des Sept-Dizains (5 du Haut-Valais germanophone, Sierre et Sion) et était administrée par des gouverneurs. La population était très mécontente de la manière inadmissible dont ces gouverneurs (ou baillis) rendaient la justice. Pas étonnant : nommés pour 2 ans, ils pouvaient garder pour eux-mêmes les 2/3 du montant des amendes… En 1790, le gouverneur résidant au château de Monthey, Hildebrand Arnold Schiner, se comportait de façon si injuste qu’il mit le feu aux poudres.

Portrait du Gros-Bellet au Château de Monthey

Un mercredi de mars,  « le Gros-Bellet » rentrait à Val-d’Illiez du marché de Monthey. À la fontaine de Vers Ensier, à vingt minutes du château, il voit deux hommes à cheval, se querellant : c’étaient Jean-Joseph Rey-Borratzon, de Val-d’Illiez, et Jean-Joseph Donnet, du Cheseaux sur Troistorrents. Ils s’étaient pris aux cheveux, tandis que leurs montures s’abreuvaient. Taillé en hercule et dans la force de l’âge (il avait 36 ans), Rey-Bellet s’interpose, leur fait mettre pied à terre et les sépare pour leur éviter une amende. Peut-être y alla-t-il un peu rudement !

Perdant du sang par les narines, Donnet rebroussa chemin et s’en vint déposer plainte auprès du gouverneur. Cité à une audience au château, Rey-Bellet conteste avoir mérité une punition, car il estime avoir fait oeuvre louable en séparant les deux hommes. Il est pourtant condamné à une amende de 1 louis. Animé par un sens aigu de la justice et refusant de se soumettre, « le Gros-Bellet » est cité une deuxième fois ; son amende est doublée, puis triplée. Il adresse alors un recours à la Diète de mai (pouvoir des Sept-Dizains), mais n’obtient pas gain de cause.

Le 8 septembre 1790, jour de foire à Monthey, beaucoup de gens de Val-d’Illiez se trouvaient réunis dans une auberge près du château. Ils y font un tel bruit que Meillat, greffier du gouverneur, les mains pleines de papiers, pénètre dans le local et menace de prochaines amendes; assailli et malmené, il réussit à s’échapper. Arrive alors « le Gros Bellet » qui trouve ses compagnons aussi indignés que lui : il était allé au château et avait fracassé du poing la table où mangeait Schiner, pour récupérer sa jument saisie au marché le matin en gage de son amende portée à 9 louis !

Instruit de l’agression dont son greffier Meillat avait été victime, le gouverneur Schiner descend du château pour se renseigner; voyant « le Gros Bellet » à la fenêtre, il l’invective et le menace de prison. Celui-ci gagne la rue, suivi des Val-d’Illiens, et demande encore au gouverneur d’une voix irritée de lui montrer la loi qui le condamne. Sentant l’orage, Schiner se hâte de faire demi-tour; il est rejoint par Rey-Bellet et plus de 60 autres. La foule stationna dans la cour du château, tandis que le gouverneur, toujours pressé par Rey-Bellet et suivi de Rey-Borratzon, pénétrait dans l’enceinte.

Devenu furieux, le « Gros Bellet », poitrine nue, s’élance contre le gouverneur, l’empoigne et le suspend au dehors aux regards des gens amassés. Retiré de cette position, molesté par Rey-Borratzon, Schiner s’enfuit par l’escalier de service ; il reçoit de Pierre Rey un coup de pied qui lui fait perdre sa perruque. Le gouverneur s’enfuit à St-Maurice. Le pays est dans une vive agitation. Des troupes sont même levées dans le Haut-Valais… La Diète refuse encore de renoncer à envoyer ses gouverneurs. Des conjurations comme celle « des Crochets », moins légalistes que la contestation du Gros Bellet, sont châtiées…  Mais le 28 janvier 1798, l’arbre de la liberté est planté devant l’Hôtel de Ville de St-Maurice, où le Bas-Valais proclame son indépendance le 4 février, et ses droits à l’égalité sont reconnus. « Le Gros Bellet » a ainsi contribué à l’union du Haut et du Bas-Valais, et à la création du Valais « des sources du Rhône au Léman ».

Sources : Résumé selon les archives officielles (basé sur Pierre Devanthey, 1972)